Dans cet article, Alain Braun, docteur en sciences de l’éducation nous éclaire sur la notion et les idées concernant le bilinguisme.
Bien que le bilinguisme ait toujours été répandu dans nos sociétés, à l’heure de la mondialisation, la diversité linguistique s’impose comme un enjeu central. Le livre blanc du conseil de l’Europe affirme, d’ailleurs, qu’en 2020, tout citoyen devrait connaître sa langue maternelle et deux autres langues : l’anglais et la langue de son voisin.
Cet intérêt grandissant pour l’apprentissage des langues a poussé de nombreux chercheurs à s’interroger sur les bienfaits et méfaits du bilinguisme au niveau cognitif, linguistique, social et culturel. Aujourd’hui, les résultats de ces études révèlent à l’unanimité qu’être polyglotte est un atout. Cependant, les mythes qui entournent le bilinguisme persistent.
Dans cette interview, Alain Braun, docteur en sciences de l’éducation et professeur à l’université de Mons, auteur et co-auteur de plusieurs ouvrages sur l’apprentissage des langues et l’immersion, grammairien et didacticien des langues, Président honoraire de la Fédération internationale des professeurs de Français et Membre honoraire du Conseil de la langue française apporte une réflexion sur les idées reçues concernant l’immersion, le bilinguisme et les capacités d’apprentissage des enfants.
Un enfant qui apprend deux langues en même temps n’en maîtrise ni l’une ni l’autre.
Certainement pas. Par rapport aux enfants unilingues, certains retards sont parfois constatés dans l’activation d’une ou plusieurs langues par l’enfant bilingue. Il est normal que ce processus d’apprentissage de deux langues prennent davantage de temps, car ils doivent s’inscrire dans deux logiques langagières : deux syntaxes, deux répertoires lexicaux…
Ce retard s’amenuise avec les premières années et disparaît même totalement.
Evidemment, pour éviter ce semi-linguisme, il y a lieu d’accorder une importance équivalente aux deux langues tant dans leur usage que dans leur apprentissage.
Dans de bonnes conditions, l’apprentissage par immersion d’une L2 (langue seconde) a même un effet très positif sur les performances en L1 (langue maternelle).
Avant l’âge de 7 ans, l’enfant apprend plus facilement les langues.
Tant les enfants que les adultes sont capables d’apprendre d’autres langues, mais il existe des différences au niveau des méthodes d’apprentissage. Dans le cas de jeunes enfants, la langue est plus facilement acquise soit à la maison, soit à l’école. Pour les âges suivants, il sera plus question d’apprentissage délibéré et conscient. Donc, plus d’effort, de volonté et de motivation sont nécessaires.
Il est possible de devenir bilingue de plusieurs manières et à tout âge. De nombreuses personnes apprennent deux langues ou plus grâce au contact qu’elles entretiennent avec ces langues depuis leur plus jeune âge, par exemple dans le contexte familial. Enfin, de nombreuses autres personnes rencontrent le bilinguisme plus tard dans leur vie, par exemple suite à une migration, ou grâce à la télévision ou au Web, ou encore par un cours de langue étrangère, voire un enseignement par immersion.
L’âge et le moyen d’acquisition/apprentissage influencent la performance.
Les jeunes enfants acquièrent plus aisément une langue pour ses aspects oraux car ils ont une meilleure perception des sons et que, par ailleurs, ils sont moins inhibés. Sur la base de ce capital oral acquis, il peut construire une bonne maîtrise de la L2 (langue seconde) à l’écrit par la suite. In fine, les performances peuvent être proches d’un natif.
L’adulte, par contre, est plus doué pour l’apprentissage formel et raisonné. Dans ce cas, à l’oral surtout, les performances sont plus éloignées de celles d’un natif.
Grâce à la stimulation intellectuelle apportée par l’apprentissage d’une deuxième langue, l’enfant bilingue a une meilleure souplesse cognitive.
Le bilinguisme est désormais largement perçu comme un atout à ce titre. Toute la recherche est aujourd’hui unanime en ce sens. De plus en plus d’études récentes ont mis en évidence une gamme d’avantages cognitifs et même neurologiques du multilinguisme précoce, pour autant que celui-ci soit géré correctement. Selon ces études, les enfants multilingues ont tendance à obtenir de meilleurs résultats en matière de flexibilité mentale, de créativité et d’analyse, et à conserver ces atouts tout au long de leur vie. D’autres recherches récentes ont même établi qu’en raison de leur flexibilité neurocognitive accrue, les multilingues sont nettement moins enclins à développer des symptômes associés à la démence, tels que la maladie d’Alzheimer.
L’enfant qui a suivi un parcours scolaire en immersion est parfaitement bilingue à l’oral et à l’écrit à l’âge de 12 ans.
Il faut sortir du mythe du parfait bilingue. Le parfait monolingue n’existe pas, pourquoi faudrait-il que ce soit le cas pour le bilingue ? Un fait toutefois : le bilingue précoce ou par immersion précoce présente des performances qui se rapprochent plus, surtout à l’oral de celles d’un natif de cette langue. Il est raisonnable de penser qu’après un parcours immersif assez intensif l’enfant de 12 ans puisse correctement s’exprimer dans deux langues.
L’enfant bilingue mélange les deux langues lorsqu’il parle et, par conséquent, éprouve des difficultés au niveau de l’apprentissage scolaire.
Dans une certaine mesure, le mélange des langues correspond à un stade normal du développement d’un enfant bilingue. Les didacticiens nomment cela l’interlangue. De nombreux parents ou enseignants constatent un tel phénomène, mais avec l’âge, la confusion involontaire s’amenuise, pour disparaître après deux ou trois ans.
Par contre, certaines formes de mélange volontaire peuvent devenir des caractéristiques permanentes de la communication entre enfants et adultes bilingues. Une de ces formes – que les linguistes appellent code switching – consiste à passer d’une langue à une autre dans une même conversation entre des locuteurs compétents dans les mêmes langues.
Le recours à l’« emprunt » (par l’utilisation de mots issus d’une autre langue) est aussi parfois utilisé afin d’exprimer sa pensée avec une nuance que seule cette langue permet.
En vue de réduire le mélange involontaire et la confusion, il est recommandé que chaque personne en contact avec l’enfant utilise toujours la même langue.
Par ailleurs, les bilingues précoces présentent divers avantages en compétences métalinguistiques ou en résolution de problème par exemple, qui les aident pendant l’apprentissage scolaire. Les recherches sur l’immersion montrent que les sujets concernés obtiennent au moins les mêmes résultats que les sujets monolingues… mais ils parlent deux langues.
L’enfant qui est baigné dans un univers plurilingue dès son plus jeune âge est plus ouvert d’esprit.
Peu de recherches ont étudié la question. Plusieurs aboutissent à constater un effet positif du bilinguisme précoce sur la pensée divergente, la créativité.
Nous avons mené des travaux en ce sens qui montrent que les élèves en immersion précoce sont plus ouverts à l’altérité. Ils conçoivent mieux ce que Malraux appelait le soupçon de l’existence d’autre chose. Par exemple, exposés à des alphabets différents, à des habitats différents ou encore à des contes étrangers, ils les considèrent plus aisément comme vraisemblables comparés à des sujets monolingues.
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