06
12
2014
Traduire, c'est créer une équivalence @Pinterest

Traduire, c’est créer une équivalence !

Comment traduire sans « tomber à côté » du sens d’un terme ou d’une formulation ? Cet article vous apporte les réponses ! L’art de traduire.

De l’art de traduire…

Je vous vois vous inquiéter… Rassurez-vous, je ne vais pas exposer ici les diverses théories de la traduction déjà développées par d’éminents linguistes et autres spécialistes de la traductologie. Cependant, je m’aperçois avec la pratique que je suis une adepte fervente, voire farouche, de la Théorie du sens.

On me reprochera sans doute de prêcher pour ma chapelle : j’ai fait mes études de traduction à l’ESIT, l’école qui a donné naissance à cette théorie selon laquelle, je cite l’une mes enseignantes : « la traduction n’est pas un travail sur la langue, sur les mots, c’est un travail sur le message, sur le sens. […] Il s’agit de DEVERBALISER, après avoir compris, puis de reformuler ou réexprimer »¹. Certes, pour bien traduire, le prérequis est évidemment de maîtriser parfaitement sa langue maternelle et de bien parler et connaître la langue et la culture source, sans qu’il soit nécessaire d’être bilingue (ce que les clients ne comprennent pas toujours, mais c’est un autre débat…).

J’assume donc, je prêche pour ma chapelle, mais ce n’est pas par esprit grégaire, c’est simplement parce que cette idée de véhiculer un message, un sens, plutôt que des mots, m’a toujours semblé évidente, de bons sens, mais également parce que dans ma pratique quotidienne de la traduction elle m’évite erreurs et approximations dans un domaine où la précision est de rigueur : la traduction technique.

Or, justement, je m’interroge sur la méthode employée par certains collègues pour découvrir le sens d’un terme ou d’une formulation, puis le traduire sans « tomber à côté ». Cette interrogation me vient de l’expérience que je possède en matière de révision de traductions juridiques et de traductions financières, elle est d’ordre purement pratique. J’ai constaté à l’occasion de ces révisions que certains traducteurs ont un réflexe qui consiste à rechercher la traduction d’un terme à l’aide d’outils, tels que les lexiques ou les dictionnaires spécialisés. Cela peut donner de bons résultats lorsqu’il y a coïncidence entre une correspondance (transposition mot pour mot, transposition formelle) et une équivalence (terme qui communique un sens équivalent, mais dont la forme et la structure peuvent différer) ; mais cela peut être catastrophique dans certains domaines techniques où les termes peuvent prêter à confusion, soit parce qu’ils semblent transparents (par exemple, privilege qui ne doit pas toujours être traduit par privilège), soit parce qu’ils sont polysémiques (dans la langue source, dans la langue cible ou dans les deux langues) : warrant par exemple a des sens aussi différents que « garantie », « mandat d’amener », « mandat de saisie » ou encore « bon de souscription ».

Sans parler de terminologie, prenons d’abord un exemple de difficulté de traduction d’une expression du langage courant : comment traduire from time to time, expression horrible, si appréciée des rédacteurs de contrats anglo-saxons ? Si l’on s’en tient à la stricte correspondance lexicale, il faudrait traduire par « de temps en temps », « de temps à autre », « quelquefois ». Pourtant, voici quelques exemples concrets tirés d’un seul et même document :

  • The rank of each Party will be automatically adjusted from time to time = Le rang de chaque Partie sera ajusté automatiquement chaque fois que nécessaire ;
  • Each Director shall be entitled to appoint from time to time any person to act as his alternate = Chaque gérant est habilité à nommer toute personne pour agir en qualité de suppléant (il est implicite que cette compétence peut s’exercer si nécessaire) ;
  • as may be from time to time determined by the Board = désignée, à sa discrétion, par le Conseil ;
  • it shall only be repayable at such time as the Board may resolve from time to time = le principal ou les intérêts ne sont remboursables que sur décision opportune du Conseil ;
  • Director” means any director of the Company appointed from time to time = Le terme Gérant désigne tout gérant de la Société désigné périodiquement ;
  • “Articles” means the Articles of Association of the Company as the same may be amended from time to time = Le terme Statuts renvoie aux statuts de la Société, quelles que soient les modifications qui pourraient y être apportées ultérieurement.

Prenons maintenant un terme économique : comment traduire revenue ? Est-ce revenu, bénéfice, chiffre d’affaires, profit, produit ? Et que faire de share dans un contrat de société puisque le droit anglo-saxon ne distingue pas actions et parts sociales ? Et pourquoi le terme committee (au sens de groupe de travail parlementaire) est-il presque toujours traduit par comité, alors qu’en droit législatif français on parle toujours de commission ?

Alors, comment ne pas se tromper ? Comment ne pas traduire « à côté » ? Eh bien, en tenant systématiquement compte du domaine et du sous-domaine technique dans lequel on travaille, du texte (c’est-à-dire de ce qui est dit) bien sûr, mais également du contexte (c’est-à-dire de ce qui est implicite, de ce qui est culturel), des habitudes rédactionnelles et stylistiques et, bien entendu, du lecteur auquel s’adresse la traduction. Et face à un terme du jargon purement technique, le réflexe primordial selon moi imparable consiste non pas à trouver une correspondance lexicale dans un dictionnaire ou un lexique, mais à chercher une définition du terme dans la langue source et dans son domaine précis d’utilisation, puis à comparer cette définition à la définition du terme que l’on a choisi comme traduction. Si les définitions ne sont pas identiques, c’est que le terme cible choisi est tout simplement faux. L’équivalence à rechercher est donc sémantique et non lexicale.

Je vous entends déjà : « Oh, mais quelle donneuse de leçons ! ». Non, j’essaie simplement, à mon humble mesure, de montrer que traduire, c’est un métier qui doit être exercé par des personnes ayant reçu un minimum de formation théorique et méthodologique. Que cela ne s’improvise pas et que la connaissance des langues est une condition nécessaire, mais pas suffisante.

¹ « La Théorie interprétative ou Théorie du sens : point de vue d’une praticienne », Florence Herbulot, http://www.erudit.org/revue/meta/2004/v/n2/009353ar.html#no1

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Cet article a été écrit par Agnès

Agnès a fait des études de traduction à l’ESIT, à Paris. Avocate et traductrice anglais-français, elle donne des cours de traduction à l’ESIT.