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23
2016
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Nadine Gassie : Stephen King, une affaire de famille

Dans cette interview, Nadine Gassie, nous parle de son parcours et de la manière dont elle aborde la traduction littéraire des romans de Stephen King.

Henri Bovet, éditeur chez Slatkine & Cie trouve remarquable sa traduction « à la fois littéraire et littérale » de l’ouvrage Un mariage contre nature d’Alice Hoffman. Un compliment qui a particulièrement touché Nadine Gassie, spécialiste en traduction littéraire depuis maintenant plus de 30 ans.

Fascinée par les autres cultures et toute la littérature qui pouvait venir de l’étranger, c’est le métier qui l’a choisie. Sa première traduction littéraire Me and my Mum de Marianne Hauser lui a été confiée par les éditions Joëlle Losfeld en 1994 juste après avoir obtenu son DESS de traduction littéraire à Paris. Ensuite, l’aventure a continué avec Tim Winton, écrivain australien. Aujourd’hui, cette mordue de littérature anglophone est abonnée à Stephen King et en a même fait une affaire de famille. En effet, avec sa fille, Océane Bies, qui selon sa maman, « manie la langue de King avec beaucoup de sensibilité, d’inventivité et d’audace, en lui apportant toute la modernité due à son jeune âge », elles traduisent en ce moment leur sixième roman de ce grand auteur américain intitulé End of Watch, le dernier tome de la trilogie Hodges.

Dans cette interview, notre spécialiste de la traduction littéraire nous raconte son parcours, la manière dont elle aborde les romans de Stephen King et nous dévoile ses futurs projets.

Comment avez- vous été amenée à traduire les ouvrages de Stephen King ?

C’est une question de coïncidence, de hasard, de rencontres, c’est aussi la magie de la vie. J’ai travaillé pendant une vingtaine d’années avec l’éditrice Dominique Autrand qui m’a fait démarrer chez Albin Michel. Un beau jour, elle m’a confié un King et j’étais assez terrifiée. Mais, de toute façon en traduction littéraire, on vous donne toujours des trucs qui vous désarçonnent. On a l’impression qu’on n’en sera pas capable. Et puis, on se retrouve face à des obstacles qu’il faut franchir et on se rend compte qu’ils sont un tremplin. À chaque fois que le bouquin arrive, je sais qu’il va me faire sortir de ma zone de confort, qu’il va me faire aller plus loin et qu’il va finalement me transformer.

Quand on m’a proposé de traduire Lisey’s Story de Stephen King, j’avoue que je n’avais pas vraiment lu ses ouvrages. Je le considérais comme un auteur mineur. D’ailleurs, je pense que beaucoup de gens le considère comme tel alors que c’est un auteur majeur. Cependant, j’avais moi-même fait cette démarche d’aller vers lui juste avant que mon éditrice me propose de traduire un de ses livres. J’avais lu Mémoires d’un métier dans lequel il raconte comment il est devenu écrivain. Donc voilà, je m’étais offert ce bouquin-là pour Noël. Et juste après, on m’a proposé mon premier King. Encore une fois, c’est un effet de synchronicité. Ça s’est présenté au bon moment. Ensuite, petit à petit, j’en ai traduit un deuxième, un troisième et puis maintenant avec ma fille, on les traduit tous. On est attachées à King depuis quelques années.

À quelles difficultés avez-vous été confrontée?

Stephen King est un maître de l’écriture, il nous entraîne. Pour moi, une belle métaphore de la traduction littéraire, c’est l’alpinisme. On est encordés, il y a un premier de cordée qui ouvre la route à travers les glaciers et, s’il est solide, on peut le suivre sans problème. King, c’est un premier de cordée sans pareil donc on le suit avec confiance. Et tous les enjeux de traduction, c’est lui qui nous apprend à les résoudre. Je le qualifierais aussi d’écrivain hyper contemporain. C’est-à-dire qu’il travaille la langue de façon très moderne et élaborée. Il y a donc des enjeux linguistiques qui sont réellement forts chez lui. Il nous fait voyager dans le temps et dans l’espace de notre psyché et dans la psyché collective. Si on ne tient pas compte de tous ces sauts dans l’espace et dans le temps, on peut arriver à un texte qui aura toujours l’aspect divertissant mais qui perdra tout son relief. Donc pour moi, Stephen King, c’est un enjeu hyper contemporain, une langue très travaillée qui paraît très simple mais qui est éminemment complexe.

Quelle relation entretenez-vous avec les auteurs que vous traduisez ?

Pour traduire un auteur, il faut lire ses ouvrages, savoir ce qu’il écrit, comment il évolue et la manière dont il travaille. Après, connaître la personne, je pense que ce n’est pas indispensable, ce n’est même pas utile parce que l’auteur est dans ses textes et c’est là qu’on le rencontre. Je dirais même que ça peut porter préjudice. En effet, une trop grande proximité entre auteur et traducteur peu devenir gênante parce que le traducteur a une place privilégiée et en même temps presque indécente. On creuse la matière, on entre dans son intimité d’une certaine façon. Et ça peut finir par être dérangeant. Il faut donc s’en tenir au texte dans lequel tout est dit. Et puis, si on veut mieux connaître l’auteur, on peut consulter les interviews réalisées par des journalistes. Enfin, en ce qui concerne les phénomènes de langue, contemporains, culturels… Internet est une très bonne source.

Vous traduisez aussi bien des histoires d’amour que des romans d’horreur. Quel genre préférez-vous ?

Moi, j’aime les surprises. J’ai traduit principalement des romans et des nouvelles mais je n’ai pas vraiment de genre de prédilection. En fait, j’aime qu’un auteur m’enchante, me transporte et me transforme. Le fantastique et l’amour ca répond à tous ces critères-là. Pour le moment, je traduis un King avec ma fille. Et ensuite, je ne sais pas sur quel livre je vais travailler mais je sais que ça sera génial.

Quel auteur rêveriez-vous de traduire et pour quelle raison ?

Je suis comblée avec Stephen King, c’est un cadeau formidable. Mais j’aimerais continuer de traduire certains auteurs. Hélas, souvent, les éditeurs ne suivent pas. Il y a des écrivains qui sont abandonnés sur le bord de la route et je trouve ça dommage. Je pense notamment à Mélanie Rae Thon. Cette auteure américaine fait un travail magistral et très poétique sur la langue. Et, je suis persuadée que lorsqu’on fait un travail sur la langue, on transforme l’humain. Oui, c’est ça, je crois vraiment au pouvoir de la littérature, de la poésie comme agent transformateur du monde.

Sinon, j’aimerais aussi retraduire. Je pense entre autre à André Markowicz, un immense traducteur qui a retraduit les œuvres de Fiodor Dostoievski et de Shakespeare. Il a fait un travail extraordinaire qui permet de moderniser les traductions. Personnellement, j’aimerais retraduire William Faulkner. C’est très ambitieux, je pense qu’on ne me le demandera jamais mais pourquoi pas. Et enfin, je voudrais travailler sur le roman de J. D. Salinger, Catcher in the Rye, intitulé en français L’Attrape-cœurs. Il a été retraduit de multiple fois mais je trouve qu’on n’a pas encore trouvé le ton juste. Donc si on me l’offrait, j’aimerais bien m’y coller.

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Cet article a été écrit par Lara

Lara est diplomée en presse magazine et photojournalisme de l'IHECS. Après avoir voyagé en Nouvelle-Zélande et en Asie du sud-est, elle a décidé de s'installer à Buenos Aires. Elle travaille actuellement chez Cultures Connection.