Mathias de Breyne : dans cette interview, l’aventurier des mots nous raconte son voyage de l’écriture à la traduction littéraire.
Mathias de Breyne, avant tout écrivain, est devenu traducteur en sillonnant les quatre coins du monde. C’est avec les poèmes de la Baby Beat Generation que son expérience dans le domaine de la traduction littéraire a débuté. Il a ensuite vécu en Argentine durant cinq ans où il s’est intéressé de très près à la littérature du pays des gauchos et a traduit les ouvrages de nombreux auteurs tels que Julio Cortázar ou encore Angélica Gorodischer.
Aujourd’hui, à ses trois passions, s’ajoute la paternité. Comblé par la venue de son fils, l’auteur cosmopolite décide de partager leur histoire dans son livre intitulé Quotidien heureux d’un père et de son bébé sorti aux éditions Sciences Humaines en 2014.
Dans cette interview, cet écrivain voyageur nous raconte son parcours atypique.
Pourquoi vous êtes-vous tourné vers la traduction littéraire ?
Moi, c’est grâce aux voyages et aux rencontres. J’avais commencé par l’écriture il y a à peu près une vingtaine d’années et un jour, je me suis retrouvé dans une très belle librairie à Dublin en Irlande, dans laquelle je suis tombé sur les poèmes d’un écrivain américain, Thomas Rain Crowe, qui a fait partie du mouvement de la Baby Beat Generation. Je me suis mis en contact avec lui et de fil en aiguille, j’ai traduit ses poèmes mais c’était vraiment pour le plaisir, pour l’exercice, pour découvrir. Déjà à cette époque, c’était un peu la suite logique de l’écriture en soi. Et après, ça m’a donné envie de poursuivre. J’ai traduit Ma vie dans les Appalaches, le récit de ce même auteur dans lequel il raconte sa vie. Durant 4 ans, il a vécu en autosuffisance, en autarcie tout seul dans les bois. Ensuite, j’ai voyagé, j’ai rencontré des auteurs et j’ai continué à faire de la traduction littéraire. L’exemple parfait, c’est ce qu’il s’est passé à Buenos Aires. J’y ai vécu 5 ans, j’ai lu quasiment tous les classiques de la littérature argentine et j’ai travaillé sur une anthologie bilingue, intitulée Direct dans la mâchoire, là aussi en invitant des écrivains, des poètes, des nouvellistes… Suite à ça, quand je suis rentré en France, j’ai ramené des livres de ces auteurs que j’ai proposés à des éditeurs. Notamment, l’inédit de Cortázar, La Racine de l’ombú, que j’ai trouvé à Buenos Aires. Et en ce moment, je traduis justement un roman argentin vraiment passionnant de l’une des auteurs cultes de l’Amérique latine, Angélica Gorodischer, qui aura bientôt 90 ans et qui vit à Rosario. Son bouquin, Kalpa Imperial, a été traduit aux Etats-Unis il y a quelques années et sera traduit en France par un éditeur parisien.
Comment choisissez-vous les livres que vous traduisez ?
C’est vraiment une histoire d’affinité et de goût. Je me suis occupé de la traduction littéraire par exemple du roman de Perla Suez, La passagère. C’est un magnifique roman qui parle de thèmes très actuels de société qui peuvent avoir lieu en Argentine. En ce moment, je suis en train de traduire le livre d’Angélica Gorodischer. Bien qu’il soit un peu fantastique sur les bords, ce roman est tout à fait d’actualité et aborde un thème vraiment universel qui parle notamment – sans vraiment les citer – des dictatures d’Amérique latine, d’Argentine et de celles qui existent encore aujourd’hui partout dans le monde. C’est pour ça que tous ces livres m’accrochent, parce que d’abord ils sont très originaux et l’écriture est vraiment extraordinaire. Personnellement, j’aime beaucoup les auteures féminines, les femmes d’Argentine. J’ai d’ailleurs invité plus de femmes que d’hommes dans l’anthologie bilingue qui regroupe 60 auteurs. Et, dans tous les poèmes, toutes les nouvelles, tous les cuentos que j’ai sélectionnés les auteurs parlent soit de l’Histoire de leur pays, soit, de ce qu’il se passe aujourd’hui.
Et pour écrire vos propres livres, quelle est votre démarche ?
Je travaille toujours sur deux ou trois projets à la fois. Là, je viens de terminer un roman qui est sorti cet été aux éditions Belfond qui s’appelle La maison. En même temps, j’en ai commencé un autre et en parallèle, j’ai entamé la traduction littéraire d’un roman argentin. Pour l’écriture de mes livres, je me fais des plans, et une fois que j’ai ficelé l’histoire, les personnages, je commence vraiment à rédiger mais pas avant. Par exemple, j’ai écrit un livre, Quotidien heureux d’un père et de son bébé, qui décrit ma relation en tant que père avec mon fils. C’était plus une sorte de récit dans lequel je racontais notre quotidien pendant à peu près un an. Donc, j’écrivais au jour le jour ce qu’on faisait, ce qu’on vivait, ce que je pensais…
Vous préférez écrire ou traduire ?
Je préfère écrire mais je prends beaucoup de plaisir à traduire surtout quand j’aime ce que je traduis. Le roman d’Angélica Gorodischer sur lequel je travaille actuellement est donc extraordinaire pour moi. La traduction littéraire, c’est un peu le prolongement de l’écriture. Quand je traduis ce roman, c’est comme si j’écrivais quelque part mon propre livre. Et j’adore ça. Parfois, je mets vraiment du temps à chercher un mot précis pour que ce soit vraiment le mot juste. Par exemple, nous ne traduisons pas littéralement « hombres deseosos de poder » ; nous le traduisons selon notre façon de parler par « hommes avides de pouvoir », tout comme nous disons « attaquer par surprise » et non « atacar sorpresivamente ». Bref, ce sont des idiotismes ancrés dans notre langue et nous ne pouvons déroger à ces automatismes, nous sommes « obligés » de les respecter si l’on veut se faire comprendre, dans la plupart des cas, ou que la traduction sonne bien et ne soit pas bancale dans d’autres.
Vous qui êtes auteur et traducteur, que pensez-vous du statut effacé du traducteur ?
Les traducteurs se réunissent chaque année pour essayer de faire évoluer la rémunération et ça permet de faire bouger les choses. Par exemple, en France, depuis cinq ou six ans, la presse et les médias sont obligés de citer les traducteurs. C’est-à-dire que lorsque vous écoutez une émission de radio, de télé ou que vous lisez la presse, lorsqu’on parle d’un livre traduit ou d’un auteur étranger, les médias sont contraints par une loi, de citer le traducteur. Il y a d’ailleurs de plus en plus d’éditeurs qui par respect inscrivent le nom du traducteur sur la couverture. Beaucoup ne le font pas encore mais en tout cas, ils sont obligés de le mettre en quatrième de couverture. Par contre, ce qui n’a pas encore évolué, ce sont les pourcentages de la rémunération. Le traducteur reçoit autour de 2% des droits d’auteur. Et, quand ça passe en poche, c’est 0,5%, donc c’est complètement dérisoire. En plus, un traducteur, en général, lorsqu’il a été rémunéré et qu’il a eu son avance, il sait pertinemment qu’il ne touchera jamais aucun droit sur le livre sauf s’il a traduit Harry Potter ou Cinquante nuances de Grey. Ce genre de livre qui cartonne. Là, il touchera un peu d’argent. Donc voilà, c’est vrai qu’il y a encore du boulot pour que le traducteur soit reconnu mais ça évolue doucement.
Les ouvrages de quel auteur rêveriez-vous de traduire ?
Je traduirais bien, par exemple, la poésie de Juan L. Ortiz, ce grand poète argentin.
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