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08
2016
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Anaïs Duchet : les dessous du sous-titrage des séries

Anaïs Duchet, traductrice spécialisée en audiovisuel, nous dévoile dans cette interview les dessous du sous-titrage des séries.

Fille d’anglicistes cinéphiles, Anaïs Duchet a été exposée aux langues étrangères et aux films en VO dès son plus jeune âge. Intriguée par la manière dont les films et les séries étaient traduits, elle a décidé d’en faire son métier. Elle entame d’abord des études de traduction en anglais et en italien et intègre ensuite le DESS Traduction et Adaptation Cinématographique de Lille III. Ainsi, Anaïs Duchet a traduit et réalisé le sous-titrage d’une dizaine de longs métrages et de séries dont les plus connus sont The Walking Dead, ou encore, The Impossible (2012), réalisé par Juan Antonio Bayona.

Passionnée par son métier, elle est également membre de l’Association des Traducteurs/Adaptateurs de l’Audiovisuel (ATAA) au sein de laquelle elle défend un travail de qualité et la valorisation de sa profession qui est malheureusement peu reconnue.

Dans cette interview, cette spécialiste du sous-titrage nous parle de son expérience en tant que traductrice de séries TV et plus particulièrement du phénomène des « fansubbers » : « fansub » est une contraction de l’anglais fan et de subtitles. Les fansubbers sont des fans de séries qui les sous-titrent illégalement dans le but d’offrir au public les épisodes presque en même temps que leur sortie aux Etats-Unis.

De nos jours, nous assistons à un engouement presque mondial pour les séries TV. Impatients, beaucoup de fans se contentent des sous-titres effectués par des fansubbers. Selon vous, quelles sont les erreurs fréquentes commises par ces derniers ?

– Le gros problème, c’est qu’ils veulent tout traduire. Le but, lorsqu’on fait un sous-titre, n’est pas de tout retranscrire, mais d’adapter sa traduction et de faire des choix. Lorsqu’on veut tout expliquer, le sous-titre envahit l’écran et le spectateur ne profite plus de l’image. Le traducteur doit accompagner l’œuvre de façon discrète et essayer de respecter au maximum les intentions qui ont été données.

La deuxième erreur, c’est qu’ils travaillent à plusieurs sur un épisode en 24 h. Du coup, il n’y a pas d’harmonisation, ni de cohérence de style. Nous, on travaille parfois à deux sur une série mais chacun fait un épisode en alternance et on se relit entre nous. Actuellement, je travaille sur la série The Walking Dead en binôme avec une autre traductrice. Je traduis les épisodes pairs et elle, les épisodes impairs. Ensuite, on va se relire mutuellement pour harmoniser les termes récurrents, choisir d’utiliser le tutoiement plutôt que le vouvoiement des personnages… On met en place une bible, comme en traduction littéraire, pour un scénario.

Et puis, comme ce sont des jeunes qui aiment beaucoup la culture américaine, ou la culture anglophone, ils sont trop attachés aux termes d’origine. Quand on traduit, il faut accepter de renoncer. J’entends trop souvent : « cette idée n’est pas traduisible en français, donc on va laisser le mot anglais ». Cette paresse-là, c’est le signe qu’on n’est pas traducteur. Quand on est traducteur, il faut se frotter à des concepts ou à des idées qui paraissent intraduisibles.

Quel impact ce phénomène a-t-il sur votre profession ?

– Les fansubbers ne font pas concurrence directement aux professionnels. Ils ne vont pas vendre leur travail aux laboratoires de sous-titrage ou aux chaînes directement. Le danger, c’est que les gens s’habituent à de la mauvaise qualité et que, par conséquent, on a du mal à faire valoir notre compétence, notre artisanat de traducteur qui a besoin de temps et qui a besoin d’être bien payé.

Par contre, ce phénomène a fait prendre conscience aux chaînes qu’elles devaient se bouger. En France, les chaînes diffusaient les séries très tardivement. Elles ont donc mis en place des systèmes de diffusion, US+24. Ça ne veut pas dire qu’on traduit en 24 h. Ce sont des accords qui sont passés en amont avec les distributeurs des séries. Les laboratoires reçoivent les vidéos trois semaines à l’avance. Ça nous permet d’avoir du temps pour peaufiner le texte, le laisser reposer, y revenir et offrir au spectateur la série sous-titrée dès le lendemain de sa sortie aux Etats-Unis. Et puis, pour lutter contre le fansubbing, on trouve que c’est une bonne solution puisque l’argument principal des fansubbers est que les séries arrivaient beaucoup trop tard en France, et qu’ils avaient donc décidé par militantisme de se charger du sous-titrage.

Le but d’un sous-titre n’est pas de tout retranscrire, mais d’adapter sa traduction et de faire des choix.

Lorsque vous traduisez des séries telle que Les agents du S.H.I.E.L.D., comment traduisez-vous les termes de cet univers imaginaire ?

– Très souvent, en ce qui concerne les univers Marvel, on suit ce qui est fait pour les films, parce qu’on considère que les gens qui vont regarder cette série connaissent déjà l’univers et qu’ils sont allés voir les films au cinéma. Et, surtout, il y a beaucoup de croisements, qui sont faits entre les deux. On va avoir une référence à un des films, à un personnage de la série et inversement. En général, on se conforme aux choix qui ont été faits dans les films par les auteurs et les sous-titreurs. Par exemple, pour la traduction de l’acronyme SHIELD, en anglais, il signifie Strategic Homeland Intervention Enforcement Logistics Division. En français, nous avons repris la traduction de l’auteur des sous-titres du film Avengers, Thomas Murat : Stratégie Habileté Intervention Exécution et Logistique Défensive.

Le fansubbing a-t-il été l’élément déclencheur de votre engagement dans l’Association des traducteurs-adaptateurs de l’audiovisuel ?

– Non, le fansubbing est arrivé un peu après la création de l’ATAA mais c’est un sujet sur lequel on a été assez vite amené à réagir. Mais, malheureusement, on ne peut pas vraiment lutter contre ce phénomène. Puisque ce sont des sites qui se développent à l’étranger ou qui ouvrent sous des noms de domaines « .eu » c’est donc très difficile d’y toucher et de les faire fermer. Nous, notre façon de lutter contre la popularité du fansubbing, c’est de sensibiliser le public, de montrer la différence entre les deux et de valoriser le sous-titrage professionnel.

La paresse est le signe qu’on n’est pas traducteur. Quand on est traducteur, il faut se frotter à des concepts ou à des idées qui paraissent intraduisibles.

Comment voyez-vous l’avenir des traducteurs spécialisés dans le sous-titrage de séries TV ?

– Je suis plutôt quelqu’un d’optimiste donc j’ai envie de le rester. De plus en plus de séries sont diffusées en France. Il y a donc plus de travail qu’auparavant. Cependant, il faut rester très vigilant sur les conditions dans lesquelles ce travail va être réalisé. Premièrement, avec la massification, on a toujours un petit danger de baisse des coûts. Deuxièmement, il y a le problème du volume qui pourrait nuire à la qualité. En effet, si on ne passe pas assez de temps sur une traduction, elle ne sera pas suffisamment peaufinée. C’est toujours le nerf de la guerre. Et, pour avoir du temps, le traducteur a besoin d’être suffisamment bien payé sur le projet pour ne pas les enchaîner et faire de l’abattage.

En ce qui concerne les fansubbers, avec l’arrivée de l’US+24, certains d’entre eux ont arrêté de faire des sous-titres pour les séries. Malheureusement, leur but n’est pas d’encourager l’offre légale de sous-titrage mais plutôt de pirater les sous-titres qui sont faits par des professionnels et ensuite les mettre sur internet. Donc, ils ne se fatiguent même plus à faire les sous-titres, ils les piquent ! J’ai d’ailleurs retrouvé certains de mes sous-titres sur internet et c’est toujours des pirates mais au moins, ils ne sont plus traducteurs donc ils ne commettent plus d’erreurs de sous-titrage. Pour marginaliser le fansubbing, il faut que les gens se tournent vers l’offre légale. Elle est payante, mais c’est en acceptant de payer qu’on peut avoir une offre de qualité. C’est comme le streaming légal par rapport au streaming illégal. Maintenant, avec Deezer, les gens acceptent de payer 10 euros par mois pour avoir une bibliothèque musicale illimitée.

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Cet article a été écrit par Lara

Lara est diplomée en presse magazine et photojournalisme de l'IHECS. Après avoir voyagé en Nouvelle-Zélande et en Asie du sud-est, elle a décidé de s'installer à Buenos Aires. Elle travaille actuellement chez Cultures Connection.